Alphée se laisse guider par ses émotions pour appliquer différents media sur la toile et donne vie à des œuvres époustouflantes. Au travers de cette interview, Alphée se livre sur son travail, son parcours et ses inspirations pour nous offrir une lecture passionnante.
L’ESSENCE, SA GENESE
✦ Quel est ton parcours et quel a été le déclic qui t’a amenée à l’art et à la création ?
Ayant eu une mère et une grand-mère artistes, je me suis naturellement orientée vers la peinture. Après une année de Prépa à l’Académie Julian et quatre ans à l’École Penninghen à Paris, c’est vers la communication que je me suis tournée.
En 2019, après 15 ans d’immersion dans l’univers exigeant de la publicité en tant que directrice de création, l’envie de ralentir et de retrouver ma passion première a émergé. Ainsi, je me suis replongée avec bonheur dans l’art de manier les pinceaux. Quelques mois plus tard, le monde, lui aussi, a été brusquement mis en pause durant l’épidémie du corona.
✦ Quel médium t’inspire le plus ?
Le papier fait main est un médium qui éveille instantanément mes émotions. Son odeur, sa texture, ses nuances et même ses imperfections créent une expérience sensorielle. C’est une relation sensuelle où je le touche, le déchire, le recouvre, le met en lumière, le gratte, l’abîme, l’use ou le protège. Tout cela devient une métaphore des expériences de la vie. En le façonnant, j’atteins un équilibre, une résonance avec mon histoire.
Le papier est intimement lié à la nature, à la fois résistant et fragile. Sa dualité me touche profondément et résonne en moi. C’est un médium qui parle, transmet, raconte, dessine, écrit… Tendu, froissé, immaculé ou taché, il porte en lui quelque chose, révélant une émotion, un message, un geste, une intention. Pour moi, il devient l’outil qui structure mon travail, le point de départ de chaque œuvre.
✦ Tes œuvres sont-elles totalement abstraites ?
Oui et non. Mon travail artistique explore la représentation des émotions que notre société tend à étouffer. Là où la performance devient impérative, où le présent ne se vit qu’au futur, je cède la place à la rêverie, à l’introspection et la contemplation.
À travers mes séries « Variation de ciel » ou la plus récente « En fleur », je m’attache à explorer l’intime, l’émotion fluctuante, l’humeur volatile, à la nature humaine en somme, qui constitue l’essence même de mon travail. Je parle ainsi de notions théoriques que je représente de manière abstraite. Pourtant, la nature qui m’inspire et que j’utilise pour illustrer ces idées, peut revêtir des aspects plus ou moins figuratifs.
✦ Quel est ton processus de création ?
Mon œuvre se nourrit de mes sentiments intimes, tirant son inspiration de ma vie quotidienne et de mes voyages, qu’ils soient réels ou imaginaires. Un ciel, un rayon de soleil, le bruissement des feuilles, le tumulte d’une ville, une mélodie – tout peut devenir une source d’inspiration. Je débute avec une émotion qui m’envahit et la transpose sur la toile, amorcée par le collage de papier. Ensuite, j’applique de l’acrylique et l’oil stick intervient pour trancher ou unir, ajoutant une gestuelle. Enfin, je travaille des trames avec des poscas ou différents types de crayons. C’est un processus méditatif où le volume, la densité, la finesse ou l’épaisseur expriment des nuances significatives. Cela évoque des liens, des dissensions ou quelque chose dans l’air qui se répand, se propage, grandit, se nourrit, avance, selon les sujets évoqués.
Ma technique libre me permet d’exprimer l’union de la force et de la douceur, incarnant, à mes yeux, l’essence même de l’émotion. Ma peinture oscille entre brutalité et douceur, exubérance et hasard, jaillissement et vacuité. Le geste spontané, les textures, l’épaisseur du papier déchiré d’un côté, et le travail méditatif des trames, le recouvrement, les formes géométriques, les grands aplats qui délimitent ou contraignent de l’autre, me permettent de jouer avec cette ambivalence.
✦ Quelle matière rêves-tu de travailler ?
-La peinture à l’huile mais la lenteur de séchage est aujourd’hui un frein.
-Le grés : façonner la terre, l’argile, sculpter, donner forme et volume à mes émotions.
-Enfin, le travail de la broderie, qui serait une autre façon de réparer, à l’image des pansements de
toiles que j’applique sur mes œuvres.
SES INFLUENCES
✦ Quelle œuvre d’art choisirais-tu pour t’accompagner toute la vie ?
Sans hésitation une toile de Cy Twombly. La poésie naïve de ses écritures, de ses empreintes, son harmonie dissonante, cette liberté totale qui met à nu la beauté, la fragilité, me bouleverse profondément.
✦ Quelle est l’exposition, l’artiste ou l’œuvre qui t’a le plus émue ?
Nicolas de Staël : Ses empattements, l’épaisseur de ses couleurs agissant comme une seconde peau ou un pansement ont éveillé en moi une résonance particulière dès le plus jeune âge. Il écrivait de son travail qu’il était « sous (…) sa violence, ses perpétuels jeux de force, (…) une chose fragile ».
Sa dernière exposition au Musée d’Art Moderne de Paris m’a une fois de plus profondément émue. Refusant d’être confiné dans des catégories, se réinventant sans cesse jusqu’à la fin de sa vie, cet être tourmenté a su entremêler abstraction et figuration, comme dans une danse folle.
✦ Une pièce de mobilier design qui te fait rêver ?
Le Fauteuil EAMES LOUNGE & OTTOMAN Vitra pour lire, rêver et me sentir protégée, dans quelque chose de confortable en étant maintenue dans une coque enveloppante.
✦ Un endroit qui t’inspire et te ressource ?
L’étendue infinie de la mer ou la quiétude enveloppante de la campagne. Ces lieux sont empreints de sérénité, de calme, et sont bercés par le murmure apaisant de la nature.
Les voyages sont mon moyen de m’évader vers l’inconnu, une exploration pleine de découvertes, une explosion de couleurs, une diversité de cultures, une aventure constante et une source d’inspiration à renouveler sans cesse.
✦ Une couleur de prédilection ?
Le jaune, éclatant de luminosité, qui évoque un soleil joyeux et riant.
LAST BUT NOT LEAST !
✦ Quelle est la journée type d’Alphée ?
Dès que mes enfants franchissent le seuil de la porte pour se rendre à l’école, je me plonge immédiatement dans mon travail. Je cherche, je lis, je me promène d’une œuvre à l’autre, intervenant sans cesse sur les toiles en cours. J’ai besoin de les contempler longuement avant de conclure que le travail est achevé.
Pour m’aérer l’esprit, je m’accorde régulièrement des sorties à des vernissages ou des expositions. Le soir venu, une fois que tout le monde est endormi, je me replonge souvent dans mon travail. Concilier la vie de famille avec celle d’artiste n’est pas une tâche facile, mais c’est un équilibre que je cherche à atteindre avec amour et passion.
✦ Avec ton expérience du monde de l’art, que dirais-tu à un artiste qui se lance aujourd’hui ?
Abandonner les fausses croyances de l’artiste maudit. Être artiste, c’est comme n’importe quelle vocation. Cela requiert un engagement passionné, une écoute attentive de soi-même, et un travail constant. Il faut renoncer à l’idée que l’inspiration doit nous trouver, mais plutôt considérer que nous devons la chercher avec détermination. Enfin, il est essentiel de comprendre qu’il y a de la place pour chacun et que la patience est une vertu précieuse dans ce chemin créatif.
✦ Quel est le rôle de Wilo & Grove dans l’évolution de ton parcours en tant qu’artiste ?
Wilo & Grove m’offre un espace propice à mon épanouissement artistique, enveloppé dans une atmosphère de confiance où je peux exposer régulièrement mes créations dans un lieu sublime. L’équipe, jeune et incroyablement dynamique, reflète parfaitement l’esprit de Wilo. Fanny et Olivia, constamment à l’affût de nouvelles opportunités pour leurs artistes, qu’il s’agisse de foires, de pop-up, de collaborations et bien plus encore, demeurent attentives et à l’écoute quelque soit le sujet.
Elles osent explorer de nouvelles approches, et être soutenu par une galerie aussi innovante suscite en moi le désir d’explorer à mon tour des horizons inédits.
✦ Un accident d’atelier ou un imprévu qui s’est intégré à ta technique ?
La pandémie a métamorphosé mon travail. Le privilège de pouvoir créer au cœur de la campagne, en symbiose avec la nature pendant le confinement, a insidieusement influencé ma peinture et mes pensées, presque sans que je m’en rende compte. C’est ici la force et l’impact de l’environnement de travail que je souhaite mettre en lumière.
✦ Des projets à venir ?
• Une nouvelle série émerge, explorant les thèmes de la protection, de la carapace et de la force. Elle adoptera des airs de montagnes, de roches, fusionnant le solide avec l’aérien, l’obscur avec le lumineux. Ce sera un mariage d’univers évoquant deux facettes d’un être, son moi et sa part d’ombre… la force et la fragilité.
• Une résidence inspirante sur l’île d’Oléron.
• Une résidence en plein cœur du Berry, où je me plongerai dans l’art de la teinture végétale.
• Des ateliers avec des migrants, autour d’un projet de création de masques.