Bernard Gortais, créateur des « Continuum », met la déchirure en majesté sans discontinuer de beauté. L’artiste se livre dans cette interview exclusive à l’occasion de son exposition où seront dévoilées de nouvelles séries resplendissantes. Rendez-vous à l’Oasis du 27 février au 9 mars de 11h à 19h.
L’ESSENCE, SA GENESE
✦ Quel est ton parcours et quel a été le déclic qui t’a amené à l’art et à la création ?
J’ai étudié les sciences économiques ainsi que la sociologie à Nantes puis j’ai passé 2 années en architecture à Paris où je me suis aperçu de la différence entre ce qui m’intéresse et ce qui me passionne – dessiner et peindre sans se soucier de quoi que ce soit. Je n’ai jamais arrêté depuis.
✦ Quel médium t’inspire le plus ?
Je ne peux pas répondre à cette question. Je peins depuis assez longtemps et tous les média que j’ai expérimentés ont été intéressants et pourront l’être encore – huile, acrylique, linogravure, gravure, encre de Chine, aquarelles, installations numériques basées sur l’intelligence artificielle avec des chercheurs de Paris VI. J’ai beaucoup utilisé depuis quelques années les aquarelles très saturées que je fabrique moi-même mais j’ai commencé à utiliser de nouveau des couleurs acryliques.
✦ Quel est ton processus de création ?
Je vais à l’atelier tous les jours, je regarde, je prends mon temps, je ne me sens pas obligé de produire mais je me retrouve toujours en train de travailler à quelque chose, une peinture, un détail, un croquis quelquefois, comme ça vient. En voyage, j’emporte toujours des carnets, des crayons et une petite boîte d’aquarelles pour garder le contact avec ce qui est en cours à l’atelier. Dans tous les cas, ce qui compte, c’est l’intensité de la présence. Je pense que j’ai bien travaillé, quel que soit le résultat, quand j’ai été présent dans ce que j’ai fait.
✦ Tes œuvres sont-elles totalement abstraites ?
Je ne sais pas. Dans un premier temps, je n’ai pas de mots pour décrire mes peintures quand elles m’apparaissent. Je ne m’occupe que des couleurs et des signes qui à un moment donné provoquent une émotion dont je ne peux pas me défendre. Il arrive qu’on me renvoie une représentation que je n’avais pas imaginée. J’aime que celles et ceux qui regardent une de mes peintures puissent voyager dedans à leur manière. Une sorte de tapis volant.
✦ Quelle matière rêves-tu de travailler ?
Ce que j’utilise en ce moment : des cartons gravés, acrylique, aquarelle, feuille d’or. Je fais ce dont je rêve.
SES INFLUENCES
✦ Quelle œuvre d’art choisirais-tu pour t’accompagner toute la vie ?
Toute la vie ? Je ne sais pas.
L’autoportrait de Rembrandt (1606-1669), une eau forte, de 1630, dite « Rembrandt aux yeux hagards » est sur mon bureau depuis longtemps.
✦ Quelle est l’exposition, artiste ou œuvre qui t’a le plus ému ?
Je suis souvent touché et intéressé par d’autres artistes. Dernièrement : les gravures de Degas (1834-1917) à la Bibliothèque Nationale, les dessins de Picasso (1881-1973) à Beaubourg, les Van Gogh (1853-1890) à Orsay, les Rothko (1903-1970) chez LVMH, un Degottex (1918-1988) récemment à Lyon.
✦ Une pièce de mobilier design qui te fait rêver ?
Je ne rêve pas de meubles mais j’aime souvent les meubles du Bauhaus.
✦ Un endroit qui t’inspire et te ressource ?
Une cabane à la campagne, une île en Grèce, la mer, mon atelier…
✦ Une couleur de prédilection ?
De fait, j’utilise souvent le bleu outremer, le rouge et le jaune de cadmium, le noir. Mais j’aime surtout le jeu des couleurs : comment à partir de trois couleurs, jaune, bleu, rouge plus le noir et le blanc on peut créer une infinité de couleurs et de contrastes.
LAST BUT NOT LEAST !
✦ Quelle est la journée type de Bernard Gortais ?
Je vais à l’atelier tous les jours, l’après-midi. Je rentre à la fin de la journée. J’aime toujours arriver à l’atelier, ouvrir la porte et regarder. C’est un endroit calme, lumineux et silencieux.
✦ Avec ton expérience du monde de l’art, que dirais-tu à un artiste qui se lance aujourd’hui ?
De se lancer et de se débarrasser du critique perché sur son épaule qui fait des commentaires. D’écouter juste ce que demande le travail en cours et de répondre. Pour un peintre, écouter la peinture. Par exemple : une toile blanche est une question pour le peintre qui la regarde, un trait, une tache sur le blanc est une réponse qui se transforme immédiatement en question, etc jusqu’à ce qu’il ne soit plus nécessaire ou possible de continuer.
De visiter les musées et les expositions, d’étudier les œuvres qui le touchent. Comment sont-elles faites ? De ne pas chercher à être « contemporain». Je trouve que la création artistique est une démarche qui nous dépasse. On ne peut que suivre l’évolution de son propre travail. De lire des livres, d’écouter de la musique, d’aller au théâtre au cinéma etc. Bref, de veiller à être ouvert autant que possible.
✦ Quel est le rôle de Wilo & Grove dans l’évolution de ton parcours en tant qu’artiste ?
Un rôle très positif, une reconnaissance de mon travail. La possibilité de créer librement et de montrer ce que je fais au fur et à mesure dans un climat de confiance. Je trouve très intéressante la démarche de Fanny et Olivia d’entrer en contact avec des architectes et des designers, ouvrant ainsi une nouvelle visibilité aux œuvres.
✦ Un accident d’atelier ou un imprévu qui s’est intégré à ta technique ?
Un jour, j’ai remarqué sur ma table l’ombre portée de la déchirure d’une feuille de carton sur une feuille blanche. Cette ombre se retrouve depuis dans la série des Continuum.
✦ Des projets à venir ?
• Continuer l’exploration de la série des « Trajectoires » dans lesquelles un pli crée une discontinuité des lignes. Ce qui est discontinu est aussi continu.
• Explorer les déchirures réparées à la feuille d’or dans ce qui sera peut-être une nouvelle série inspirée de l’art japonais du Kintsugi où l’objet réparé est plus émouvant que l’original.
• Essayer des trajectoires sur des feuilles de métal gravées et pliées
• Dessiner