Marjolaine de La Chapelle nous dit tout !

Interview d’artiste

Interview d’artiste

Marjolaine de La Chapelle

Un duo show de folie vous attend à l’Oasis du 30 mai au 10 juin ! Les sublimes peintures tout à fait inédites en petits points colorés de Marjolaine de La Chapelle vous attendront au 40 rue des Petits Carreaux. Cette coloriste de talent crée dans un état presque méditatif et nous en dit davantage sur ses inspirations, sa technique et son parcours dans cette interview. Découvrez le catalogue de ses merveilles ICI.

La deuxième merveilleuse artiste mise à l’honneur durant cette exposition est Patricia Zieseniss dont vous pouvez retrouver l’interview ICI et le catalogue PAR LÀ.

L’essence, sa génèse 

 

Quel est ton parcours et quel a été le déclic qui t’a amenée à l’art et à la création ?
« Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux…. Il faut pouvoir repenser à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci … et il ne suffit même pas de repenser à tout cela …. Il faut encore avoir été auprès de mourants …avec la fenêtre ouverte … et il ne suffit pas d’avoir des souvenirs … il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux … et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent … car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste… Lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers. » Rainer-Maria Rilke 

Mon enfance était entourée de souvenirs, dont certains de déportation, d’interrogations, d’ombres et de lumières. 

J’observais, je voyais,  je ressentais les dissonances… J’avais un besoin insatiable de comprendre, d’analyser les comportements, de trouver les mots, de trouver un langage pour retranscrire ce trop-plein. Je passais mon temps dans les livres et les bibliothèques. Un master de gestion, un doctorat de sociologie, des études de droit… Puis, ma mère a eu une leucémie. L’année du décès de ma mère, mon père est lui aussi décédé. C’est à ce moment-là, que j’ai replongé dans le dessin. Mon esprit qui n’était jamais en repos, s’apaisait un fusain à la main. Mon lien avec le dessin n’a cessé de croître. Après avoir si longtemps regardé puis analysé, je m’autorisais enfin à poser sur une feuille de papier.

Les arts déco, les ateliers des beaux arts, les musées. Mes journées entières étaient dédiées au dessin. Puis, la rencontre avec un maître : Philippe Lejeune. Un homme âgé, austère, exigeant, sans complaisance aucune … Nous parlions de philosophie. Il ne disait jamais ce qu’il fallait faire. Il invitait à la réflexion et toujours à dessiner, dessiner, dessiner … faire ses gammes. Regarder et tendre vers l’ascèse du regard puis déposer mes quelques premiers points en silence. 

L’art est un langage si universel et si personnel à la fois.

✦ Quel médium t’inspire le plus et pourquoi ?
Tous les media m’attirent. On n’a jamais fini d’explorer un médium, plein de surprises nous attendent. L’huile : C’est une matière vivante. C’est passionnant d’essayer de trouver du nouveau avec un matériau dont on croit connaître les contours. C’est une leçon de vie à chaque tableau. Les couleurs sont puissantes et la matière exigeante. On explore tous les possibles.

✦ Quel est ton processus de création ?
J’ai besoin de m’isoler, d’être dans ma bulle. Je vis au rythme de la lumière du jour. J’écoute de la musique sans cesse et l’été le chant des oiseaux. J’ai toujours hâte de retrouver la lumière du printemps. Quand la lumière naturelle décline, je plonge dans mes carnets. Le matin je prépare mes couleurs et mon médium. Je tends mon lin sur les châssis…

Mes yeux ne cessent de dessiner, d’observer, de donner du sens aux choses, de tenter de retranscrire mes interrogations, de chercher la lumière, de composer. Je me suis imposée le travail du point. Sorte de rigueur pudique et toute en retenue. Ce “less is more” m’attirait. Dire en silence. S’imposer un vocabulaire réduit. Ne pas aller vers la facilité. Je pensais y séjourner un petit moment. Et cela fait 10 ans. Envie d’explorer une matière, un langage, une force de retenue et partir toujours vers l’inconnu. L’inconnu est rarement là où on croit …

✦ Tes œuvres sont-elles totalement abstraites ?
Qu’est ce que l’abstraction ? Une opération intellectuelle, une vue de l’esprit, une façon d’isoler par la pensée ?
Ma quête tend vers la synthèse, l’abstraction, un dialogue entre le dit et le non dit, quitter le narratif pour rejoindre la pensée pure…. Puis faire des allers-retours…. Et recommencer. Juxtaposer des couleurs sans raison ne serait-ce pas une impasse pour celui qui crée ? Voire une imposture pour celui qui regarde ? Une œuvre n’est-elle pas la rencontre de la main de celui qui s’exprime avec le regard créatif de celui qui y apporte sa lecture et sa sensibilité ?

✦ Quelle matière rêves-tu de travailler ?
Une matière qui dialogue avec la lumière.

Ses influences 

 

✦ Quelle œuvre d’art choisirais-tu pour t’accompagner toute la vie ?
La terre, ses mystères, ses imperfections, son chaos, sa force de vie… Guernica de Picasso, Nu masculin, jaune d’Egon Schiele, Le jardin des délices de Jérôme Bosch, Riding with death de Basquiat.

Quelle est l’exposition, artiste ou œuvre qui t’a le plus émue ?
Le 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin en novembre 2009… L’art vivant partout dans la rue : sensible, silencieux et bruyant à la fois, coloré et sombre, anonyme et universel, sans fard, tout en vérité, juste humain…

✦ Une pièce de mobilier design qui te fait rêver ?
Un transat au soleil avec un bon bouquin : c’est le rêve. Et Le Grand banc crocodile de Claude Lalanne me séduit pour son audace et le Steinway D274 m’emporte littéralement.

Un endroit qui t’inspire et te ressource ?
Partout dès que la lumière du printemps pointe le nez.

✦ Une couleur de prédilection ?
La lumière. Toutes les couleurs ont un langage propre  et une résonance différente en fonction de la lumière. Je fais mes mélanges moi-même. Aucune couleur ne sort telle quelle du tube. Et, c’est la lumière qui prime.

Nu masculin jaune par Egon Schiele, 1910

Le Grand Banc crocodile par Claude Lalanne, 2017

Riding with Death par Jean-Michel-Basquiat, 1988

Last but not least !

 

✦ Quelle est la journée type de Marjolaine de La Chapelle ?
Je me réveille tôt. Je fais du sport au réveil et je prends mon petit café avec un énorme nuage de lait. Puis, je mets ma musique. J’attends que la lumière naturelle du jour se réchauffe pour me mettre au travail. Je zappe les repas. Quand je travaille, je n’ai pas faim. Puis l’été, quand les journées sont assez longues, je termine ma journée en allant marcher une dizaine de km dans ma forêt.

✦ Avec ton expérience du monde de l’art, que dirais-tu à un artiste qui se lance aujourd’hui ?

Never give up ! Dans un monde mercantile, faire le choix d’une vie d’artiste est un chemin de traverse nourri par la passion. La passion est exigeante et puissante. Ton meilleur allié sera toujours le travail et l’intégrité. Ceux qui agissent pour la beauté du geste sont rares. 
Il n’empêche qu’être artiste ne veut pas dire être juste perché dans les limbes. L’artiste est avant tout un artisan qui travaille de ses mains. Et il est très honorable comme tout à chacun de gagner son pain quotidien.

 ✦ Quel est le rôle de Wilo & Grove dans l’évolution de ton parcours en tant qu’artiste ?
C’est une rencontre qui m’a fait grandir dans mon parcours d’artiste. Un coup de cœur sur le principe ! C’est un lien qui se veut privilégié et de confiance entre l’espace préservé qu’est l’atelier et la mise en lumière du travail qu’est la galerie.

✦ Un accident d’atelier ou un imprévu qui s’est intégré à ta technique ?
J’aime les accidents, ils me poussent à réfléchir et à faire évoluer mon travail. Je travaille de façon très rigoureuse et l’insolite m’attire toujours parce qu’il réveille ma réflexion. Je regarde donc avec beaucoup de lucidité les accidents, la moindre aspérité et ce qui dissonne. Les imperfections ont du talent, elles révèlent des vérités. Elles nous invitent à grandir.

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